Odyssée de l'amour
S’il est encore en toi cette part de bonté
Qu’à son aube chacun reçoit comme une grâce,
De ce miel savoureux pris aux fleurs du Parnasse
Et dont vit tout bonheur comme d’éternité,
Ecoute, pauvre femme aujourd’hui dans l’abîme,
Ecoute, pauvre errante au cœur triste et maudit,
Ecoute, et retiens chaque mot que te dit
Cet amant d’autrefois, lui qui fut ta victime.
Ton sourire et tes yeux n’avaient pas de pareils
En ces cieux où mon âme, encore juvénile,
Consacraient l’Idéal - alors pour moi futile
S’Il ne brûlait toujours de feux d’or et vermeils,
De ce vin de lumière et d’ombres fascinantes
Dont tu troublais les sens, enchantais les esprits,
Chaque jour davantage, en prodiguant le prix
De ton rire éclatant, de tes poses charmantes,
De cet unique encens dont s’enivrent les Dieux
Et qu’auprès de toi seule, ainsi que dans la nue,
Heureux, je respirais, presque sans retenue,
Te vouant un amour aussi grand que pieux.
Comment aurais-je pu te croire si légère,
Deviner de ton cœur la triste vanité,
Et que le seul éclat de mon honnêteté
Me valut tes faveurs et sut te rendre fière ?
Grâce à moi tu brillais : rien ne te plaisait tant !
Les femmes t’enviaient et tu te jouais d’elles,
Qui cherchaient tes secrets comme on fait des plus belles
Et, vaines, nourrissaient ton orgueil envoûtant ;
Les hommes à tes pieds croissaient sans cesse en nombre :
Honteux flot de rivaux qui saignait mon honneur,
Dont tu me consolais de ton rire moqueur -
Tandis que tu tramais ma disgrâce dans l’ombre !
Tant de partis puissants, dont on faisait grand bruit,
- Oh, bien plus que de moi - m’acheminaient au gouffre :
Eux dont tu te grisais de tout parfum de souffre
Comme de l’antidote à tes démons de nuit :
Pudeur des sentiments, amour tendre et fidèle,
Chaste maternité, sage discrétion,
Saine sobriété, noble soumission :
Tout l’Enfer consacré de la vile femelle!
Mais je sais aujourd’hui de quel prix tu payas
Ta faiblesse indécente et ta vanité folle,
Entre les mains de l’homme innommable et frivole
Qui t’enchaîna dans l’antre où tu te fourvoyas :
Ce harem luxueux où, parmi tes compagnes,
Pour un soir de débauche et le coût d’un manteau,
Chacune se prépare à lutter au couteau
Tel un fol assassin dans le pire des bagnes.
Ne crois pas que j’en rie ou me sente vengé :
J’ai moi-même souffert un sinistre calvaire
Et longtemps dus traîner ma terrible misère
Avant que de tout mal mon cœur fût épongé,
J’ai longtemps dû verser le sang de ma fêlure
Sans pouvoir le tarir ni même le cacher
Tant le coup fut puissant, hypocrite et boucher,
Et me priva de sens et de force et d’allure.
Je ne dus mon salut, dans les tout premiers temps
- Pèse donc la noirceur de ma mélancolie -
Qu’à l’espoir extatique et rempli de folie
De ton retour prochain, dans des feux crépitants !
Et quand la vérité leva son premier voile,
Que ma fièvre fut lasse et ce deuil accompli,
Quand je pus vers le jour tourner mon front pâli,
Maigre fut mon répit, l’horreur fut infernale !
Ton fantôme glacé, méprisant et railleur,
Partout me poursuivit telle une ombre maudite,
Aiguisant ma douleur, célébrant ma faillite,
Me tourmentant de honte et de vaine rancœur.
Je crus souvent devoir m’oublier dans la tombe,
Ou dans de vils flacons d’ivresse, ou le Délit,
Tant je m’en retournais certains soirs dans mon lit,
Exilé, moqué, fui, de la moindre colombe.
Mais je sus résister : j’avais le Souvenir,
La mémoire de tout ce qui me fit de flamme
Et jamais ne trahit la candeur de mon âme,
Ni ne me détourna, pour toi, de l’Avenir,
De tout ce que l’honneur et la noble promesse
M’avaient valu d’azur et de fière amitié,
Dont tu fis ta parure en traîtresse moitié
Pour éblouir le monde et masquer ta bassesse,
De ce trésor de gloire insensible à l’affront,
Dont je retrouvai la clef quand se taisaient mes larmes,
Et duquel je forgeai patiemment les armes
D’un homme enfin brûlant de revenir au front.
J’étais alors instruit de mes erreurs passées ;
Mon cœur s’était ouvert au doux charme discret
D’une âme honnête et bonne, et qui garde Secret
De ses riches beautés, jalousement classées,
Promises d’un vœu sûr aux seuls dignes Amants,
Aux seuls tendres lions pleins de rêve et d’audace
Dont une femme enfin peut se fondre en la trace
Sans risquer de sombrer dans de honteux tourments :
Cette noble vertu qu’au hasard des rencontres
Un jour sous mes regards je vis s’ouvrir à moi,
Chaste, claire, et vibrante, et me faire une loi
De régler sur son heur la moindre de mes montres,
Cette femme avec qui je vais main dans la main
Sous un ciel radieux d’éternelle espérance
Aujourd’hui que j’ai su reconnaître ma chance
Et d’un pas jamais plus n’ai quitté son chemin.
vendredi 27 février 2015
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