A Lily
J’avais alors quinze ans et me voulais un homme ;
De maint puissant danger j’avais mordu la pomme,
Et les vertes amours du monde adolescent
Avaient déjà perdu leur charme effervescent
Au gré de mon désir précocement adulte.
J’étais aux yeux de tous marqué d’un signe occulte
Sur les bancs du lycée, où je m’évertuais
A m’armer de savoir au milieu des bluets,
Dont ni jeux, ni soucis, n’avaient sur moi d’emprise.
On m’avait recouvert d’une affreuse aura grise,
Et mon cœur à la longue aurait pu se damner,
Jusqu’à se renier par crainte de faner,
Si je n’avais croisé les yeux de cette femme
Dont les cours de français revigoraient mon âme
Et l’iris m’éveillait dans de secrets éclairs
Tandis que j’admirais ses courbes et ses airs.
O divine Lily ! J’aurais douté des anges
Si je n’avais connu ces merveilles étranges
Qu’entre tes mains, tes bras, en ton corps et tes seins,
Me dispensa l’amour en lumineux essaims
Durant de si longs mois, comme une grâce obvie,
En cette aurore sombre où s’enferrait ma vie !
Mais quel malheur ce fut lorsqu’on nous sépara !
Cette horrible douleur, qui jamais la dira ?
Que ce fut violent, infamant, hypocrite !
On t’exila ! Vers où ? Dis, ma tendre petite,
En quels lieux écartés, à jamais interdits,
Te reléguèrent-ils, ces juges, ces maudits ?
Sais-tu jusqu’où leurs mains allèrent dans l’outrage ?
Jusqu’en nos souvenirs ! Jusqu’en ta moindre image,
Et jusqu’au moindre objet qu’un beau jour tu touchas :
Tout ! Ils m’ôtèrent tout ! Plus pillards que des chats !
Un seul objet de toi réchappa du massacre :
Une fine brassière aux dentelles de nacre
Qu’au fond de mon manteau, depuis le premier jour,
Je gardais chaque instant comme un charme d’amour,
Et qui longtemps noya comme un fleuve mes larmes
Quand, brisé de douleur, je déposais les armes !
Dix ans durent passer avant qu’en le voyant
Mon cœur enfin devînt tranquille et souriant,
Et que ta beauté seule et nos heures de gloire
Vinssent comme du ciel gouverner ma mémoire.
Tout est déjà bien loin aujourd’hui, c’est certain :
Vingt printemps, penses-tu ! - Mais tu fus mon Matin,
La source de ma joie et de ma soif de vivre -
Et ton blanc balconnet, mon plus précieux livre.
lundi 19 janvier 2015
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