Césarion d'Alexandrie

Césarion d'Alexandrie

Le plaisir avant tout, le plaisir surtout

 

 

Moins qu’un autre j’ai droit de me plaindre ou pleurer -

Malgré l’âpre douleur et la faim qui me ronge,

Moi qu’une riche aurore éveilla dans un songe

Et de grâces combla -  ni même murmurer.

 

Et pourtant il me faut ce jour peindre ma honte

Et retisser le lé de mon triste parcours,

Fil à fil, sans erreur, et sans autre discours :

Mon temps vient de sonner son sinistre décompte.

 

Je naquis et grandis au sein d’un monde heureux,

Fortuné, délicat, instruit, fier et aimable ;

A seize ans, j’étais beau, doux, sain, pur, admirable,

Si charmant qu’on me crut en tout point valeureux ;

 

Mais j’avais à côté de ce brillant visage

Celui d’un être obscur, avide et orgueilleux,

Imbu de sa médaille et prétendant à mieux,

Qui se flattait de croître en soufflant le mirage.

 

Rien ne me résistait ; tempérez donc cela.

L’ennui seul m’effrayait et me tenait en cage :

Je le voyais partout, puissant, fatal et sage,

Assommant de Mesure et barrant l’Au-delà.

 

Comme je haïssais ce monument de pierre

Qui pourtant me vouait, moi, le favorisé,

A tout régnant office, infrangible et posé

Comme s’il s’agissait d’une ou d’autre chimère !

 

Comme il me fit railleur de tout grand idéal,

Oublieux du futur, du passé, de ma chance,

Avide de plaisirs comme de délivrance,

Et me tourna vers eux d’un désir infernal !

 

Je devins en dix ans un pilier de débauche :

Je connus tous les vins, pétris mille et un corps,

Sans le moindre regret ni lasser mes efforts,

Comme au temps des moissons l’homme s’enrage et fauche.

 

Combien de cœurs naïfs, si faciles à prendre,

Entre-temps je brisai pour assouvir ma faim !

Combien d’or je puisai dans mon trésor, sans fin,

Pour pouvoir m’enivrer de drogues sans attendre !

 

Je compromis les miens, mis leur bourse en péril,

Leur fis courir l’opprobre, implorai leur excuse,

Leur promis de changer souvent - parfois sans ruse :

Vanité des aveux obtenus sur le gril !

 

Quand, quelques temps plus tard, j’enterrai père et mère,

Usés par les malheurs dont je les accablais,

Je pleurai tout un jour des pleurs sales et laids

De coupable héritier vaincu par sa misère :

 

Le lendemain, j’étais, le corps tout envoûté

Dans le lit d’une folle, et je comptais les astres

Au plafond, en riant, ivre de piastres,

Et du riche poison que nous avions goûté.

 

  

 

samedi 21 février 2015

 



21/02/2015
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