Césarion d'Alexandrie

Césarion d'Alexandrie

L'enfant du paradis perdu



 

Elle allait, mal coiffée, mal vêtue, le pas lent,

Les yeux indifférents aux appels de la vie,

Comme le figurant d’un drame en noir et blanc,

Les épaules baissées, sans flamme, ni envie.

 

On aurait pu la croire ignare et sans beauté,

Elle, si jeune encore, à peine seize automnes,

Et déjà résignée à pâlir sous l’été

Sous d’amples vêtements aux coloris atones.

 

Je la voyais marcher parmi les jeunes gens

De son âge, rieurs et brûlants d’énergie :

On eût dit un fantôme aux contours contingents

Invisible à leurs yeux comme un jeu sans magie.

 

Elle était une enfant du paradis perdu,

Et vivait dans le deuil des premières années

De sa courte existence, où tout lui était dû,

Incomprise, ignorée, seule, abandonnée.

 

Ses deux petites sœurs, de cinq et de huit ans,

Lui avaient fait comprendre au jour de leur naissance

Que le cœur des humains n’est jamais aussi grand

Que le désir d’amour dont hérite l’enfance.

 

Ce fut pour elle un drame et nul ne s’en douta.

Ses parents étaient tout, leur amour, la vraie grâce,

Et ses sœurs, pour son cœur, furent deux attentats

Qu’elle souffrit sans bruit pour leur céder la place.

 

Lors, elle se para de l’habit du martyr ;

Mais sans cri, sans éclat, d’une foi puérile,

Espérant retenir l’amour prêt à partir

Par un feu de vertu masochiste et virile.

 

Nul, bien sûr, ne comprit ses soudaines pâleurs.

Père et mère l’aimaient ! Mais quel étrange voile

Sur ses yeux maintenant, quelle austère douceur,

Elle qui fut jadis leur si rieuse étoile !

 

On lui témoigna donc une neuve attention

Au sein de son foyer, mais plus froide et craintive

Que celle d’autrefois, quand aucune question

Ne troublait les esprits par ses notes plaintives !

 

Lorsque je l’aperçus pour la première fois,

Ces mœurs réglaient sa vie depuis plusieurs années

Et pesaient sur son cœur de tout leur odieux poids

De Chimère, en creusant son chemin de damnée.

 

De l’amour, elle avait fait le choix du mendiant,

De maint laissé-pour-compte, et se payait des miettes

Que les beaux, les heureux, les choyés, les vaillants,

Laissaient choir sous la table au milieu de leurs fêtes.

 

 

 



14/01/2015
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