L'enfant du paradis perdu
Elle allait, mal coiffée, mal vêtue, le pas lent,
Les yeux indifférents aux appels de la vie,
Comme le figurant d’un drame en noir et blanc,
Les épaules baissées, sans flamme, ni envie.
On aurait pu la croire ignare et sans beauté,
Elle, si jeune encore, à peine seize automnes,
Et déjà résignée à pâlir sous l’été
Sous d’amples vêtements aux coloris atones.
Je la voyais marcher parmi les jeunes gens
De son âge, rieurs et brûlants d’énergie :
On eût dit un fantôme aux contours contingents
Invisible à leurs yeux comme un jeu sans magie.
Elle était une enfant du paradis perdu,
Et vivait dans le deuil des premières années
De sa courte existence, où tout lui était dû,
Incomprise, ignorée, seule, abandonnée.
Ses deux petites sœurs, de cinq et de huit ans,
Lui avaient fait comprendre au jour de leur naissance
Que le cœur des humains n’est jamais aussi grand
Que le désir d’amour dont hérite l’enfance.
Ce fut pour elle un drame et nul ne s’en douta.
Ses parents étaient tout, leur amour, la vraie grâce,
Et ses sœurs, pour son cœur, furent deux attentats
Qu’elle souffrit sans bruit pour leur céder la place.
Lors, elle se para de l’habit du martyr ;
Mais sans cri, sans éclat, d’une foi puérile,
Espérant retenir l’amour prêt à partir
Par un feu de vertu masochiste et virile.
Nul, bien sûr, ne comprit ses soudaines pâleurs.
Père et mère l’aimaient ! Mais quel étrange voile
Sur ses yeux maintenant, quelle austère douceur,
Elle qui fut jadis leur si rieuse étoile !
On lui témoigna donc une neuve attention
Au sein de son foyer, mais plus froide et craintive
Que celle d’autrefois, quand aucune question
Ne troublait les esprits par ses notes plaintives !
Lorsque je l’aperçus pour la première fois,
Ces mœurs réglaient sa vie depuis plusieurs années
Et pesaient sur son cœur de tout leur odieux poids
De Chimère, en creusant son chemin de damnée.
De l’amour, elle avait fait le choix du mendiant,
De maint laissé-pour-compte, et se payait des miettes
Que les beaux, les heureux, les choyés, les vaillants,
Laissaient choir sous la table au milieu de leurs fêtes.
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