Césarion d'Alexandrie

Césarion d'Alexandrie

L'odyssée de Sofiane

 

 

O merveilleux parents, qu’en serait-il de moi,

A présent, si jadis, aveugles et grégaires,

En ce nouveau pays, absurdes sédentaires,

Vous m’aviez fait haïr de m’ouvrir à sa loi ?

 

Quel heur serait le mien, si, dès la tendre enfance,

Vous ne m’aviez offert la chance de grandir

Parmi les gens d’ici, si bons à découvrir,

Souvent, et grâce à qui l’on peut aimer la France !

 

Sofiane Nasri - ce nom ne me valut,

Là-bas,  dans notre fief, notre si cher village,

Jamais qu’un habitant, même en proie à l’orage,

Me découvrît ses dents ou crachât mon salut.

 

Cela, je vous le dois, vous dont l’âme loyale

M’apprit à honorer notre terre d’accueil

Et m’ancra le désir d’en faire un jour l’orgueil,

Au nom même, souvent, de la glèbe ancestrale,

 

Vous sans qui, non plus, je n’aurais jamais pu

M’attirer tant d’amis et tant de bienveillance

De la part de ce peuple à la culture immense

Dont les lois défendaient mon crin noir et crépu.

 

Du moins - telle en était la merveilleuse image

Qu’imprimèrent en moi ces temps doux et heureux

Où nous vivions ensemble, aimants et chaleureux,

Avant votre départ pour le dernier voyage,

 

Avant ce coup du sort, ce déchirant éclair

Qui m’exila soudain dans d’affreuses contrées,

Ce ghetto de murs gris aux vitres sinistrées,

Tandis que je croyais mourir par manque d’air.

 

 

J’avais alors dix ans, et pour seule famille

Un vieil oncle aviné qu’on jugea bon parent

Sur la foi d’un recours aussi vain que navrant ;

Dès que nous fûmes seuls, il me traita de fille :

 

Parce que j’avais peur, parce que je pleurais,

Parce que j’avais mal, étais pris de nausées,

Avais l’accent français,  bouche et lèvres rosées,

Et que je suffoquais d’être pris dans ses rets.

 

Il s’avéra pourtant ma plus faible torture

Au sein du monde triste, infernal et roué,

Où, tel un frêle esquif je m’étais échoué

Et dont vite je fus le jouet de l’Injure.

 

J’étais un étranger presque aux yeux de chacun !

Pour les uns, un bâtard, un lâche et maudit traître,

Pour d’autres, un « arabe », un rat sans Dieu ni Maître ;

J’étais comme broyé par les dents d’un requin.

 

Il me fallut bientôt défaire cette tenaille :

Hélas, choisir un camp ! Elever un rempart

Contre ce fol assaut, haineux de toute part,

Pauvre enfant que j’étais pris dans l’âpre bataille !

 

Et je ne tardai pas longtemps balance en main.

Seuls ceux de la cité me mettaient à l’épreuve ;

A ceux d’ici, ma peau semblait donner la preuve

Qu’ils me verraient un jour les trahir en chemin :

 

Ils me tournaient le dos, me condamnaient leurs portes,

Parfois même en masquant leur refus sans appel

Derrière un doux sourire et des discours de miel,

Tant les dissensions entre tous étaient fortes.

 

 

C’est ainsi qu’en dépit de mon tempérament,

En proie à l’abandon, relégué dans l’ordure,

Je m’en remis à ceux que la même blessure

Au crime un jour voua comme vers un calmant.

 

C’est ainsi qu’en trois ans, malgré ma conscience,

J’aidai quelques trafics, me fit la main au vol,

Au mensonge, à la lutte, à hanter maint sous-sol,

Comme à fumer de l’herbe et connaître la transe.

 

 

Jusqu’où serais-je allé si, soudain, du passé,

Lancé depuis longtemps dans une âpre recherche,

N’eut surgi cet Ami, qui me tendit la perche

De son adoption et d’un décret cassé,

 

Si je n’avais gardé tout au fond de mon âme,

Sous la cendre du deuil, la braise de l’Espoir,

L’heureuse nostalgie et son divin savoir

Qui, dès lors, de mon cœur réveillèrent la Flamme,

 

Sans vous, mes chers parents, sans vos soins amoureux,

Sans ce riche trésor, ce sublime héritage

Dont vous me fîtes don, et qui vous vaut l’hommage

Ici, d'un homme libre et désormais heureux !

 

 

 

lundi 9 mars 2015

 

 



09/03/2015
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