Césarion d'Alexandrie

Césarion d'Alexandrie

Ronde d'horizons


Le goût de la viande fraîche



 

Aujourd’hui qu’elle a su, sous le feu de ses charmes,

Dévaster cet amant de torride passion,

Qu’elle a ruiné sa vie, habile Pygmalion,

En flattant à l’envi son art de Maître d’Armes,

Qu’il a quitté famille et femme et doux enfants,

Qu’elle le voit là, fou d’exigence amoureuse,

Plaidant son sacrifice et ses grands droits d’amant,

L’orgueil, l’ennui, la faim, qui la firent charmeuse,

Désormais assouvis, de leurs yeux de vautour

Éclatent de mépris sous le plus clair des jours.

 

C’est fini.

 

Que leur restera-t-il ? Lui, c’est certain : le crime,

La descente aux enfers, le délire au désert,

Le remords dégradant, la chute dans l’abîme ;

Elle, ourse de banquise et noire du dessert,

Froidement s’en ira digérer sa pitance

Au soleil des vainqueurs de la folle allégeance

Des pantins de l’amour - plus libre qu’autrefois

De n’être plus qu’un ventre où la chair fait la loi,

Et le cœur, mille appeaux pour séduire la chance :

Ah, rôtir à nouveau de la carne à bon bois !

 

Elle rêve.

 

La voilà l’œil songeur, glissée sur une chaise,

Loin de l’humain conseil ; elle boit l’horizon

De pourpre et d’or fuyant devant la nuit de glaise

Qui s’offre à ses désirs de bâtir nos prisons.

La fumée du bûcher de nos rêves l’enivre…

En ces fils nuageux, bleus du sombre décor

Elle trace en le ciel l’arabesque des corps

Que sa rage soumet quand le combat se livre :

Ces désirs indécis de poches pleines d’or,

Les souvenirs odieux de ses sacs de Trésors.

 

 

Grasse, elle s’en repaît encore, en boulimique,

Cet abîme d’orgueil et de soif de pouvoir !

Et du Rêve, elle apprit la science alchimique...

Haine, hélas, l’avisa de secrets du Savoir.

Patiemment elle tisse, écumante araignée,

Silencieuse et goulue, puisant de ses Trophées

La salive odorante et les motifs parfaits,

Les réseaux irisés de sa toile à méfaits :

Le miroir de cet Autre insolent de nausée !

 

 

Cette lointaine étoile  - Ô le terrible affront -

Déchira le silence où s’enlisait le monde,

En dédain souverain de l’allégeance immonde,

Et du glaive grava fleur de lys à son front.

Tel fut le seul écho qu’à son défi d’entrailles,

Sur le charnier fumant de son champ de bataille,

L’Autre lui renvoya de son Ciel consacré ;

Mais l’affront fut bientôt ce qui fit son délice.

Son orgueil en défi s’enivra du calice,

Et son spectre d’ennui dut bientôt désancrer.

 

Un nouvel homme à vaincre ! A nouveau la puissance !

A nouveau sous les fards dignes de sa beauté,

Langueur noire et volée à nos chastes essences,

Triompher de la mort et du pâle Léthé,

Où se noyait sa faim sous les concupiscences !

A nouveaux de parfums tendrement enivrants

De sèves colorées, de baumes énervants,

Se caresser le corps, flatter sa chevelure,

Et, sous l'habit saillant, suggérer sa cambrure !

A nouveau vivre en Femme et donner la morsure !

 

Magnifique et parée du plus divin des deuils

Elle ira devant lui. Soumise et passionnée

Comme devant un Dieu. Sans que tremble son œil.

Elle usera d'amour pour être pardonnée,

De réserve, d'honneur, de feu, d'humilité,

Et tant qu'il le faudra, de prodigalité.

Pourvu qu'un jour, enfin, son cœur baisse la garde !

Pourvu que de ses mains son front soit couronné !

Nulle rivale à craindre ; elle est fille de harde

Assassine, aux crocs longs, durs et empoisonnés.

 

 


14/01/2015
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A Alexandra



 

Me serais-je lassé de ta bouche de fruit,

Pulpe rose et sanguine aux dents pures d’albâtre,

Si le vent du destin n’avait en nous induit

Que les amours d’été n’étaient que pour s’ébattre

Un instant, puis mourir, comme les papillons

Qui ne vivent qu’un jour et font œuvre éternelle,

Me serais-je lassé de la douce potion

De ton souffle mêlé dans le mien comme une aile ?

 

Je n’oublierai jamais la beauté de tes seins

Où mon cœur s’est noyé comme au creux de ses rêves,

La douceur de ta peau, ni le fameux dessin

De ton ombre ondoyante aux abords de la grève

Où tu humais la mer, ô sirène aux yeux bleus !

Je n’oublierai non plus ton espiègle sourire

Quand la première fois nous fûmes seuls tous deux

Et que tu me glissas : « qu’est-ce que je t’inspire » ?

 

 


14/01/2015
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Enfer requin



 

Le sol est recouvert d’ossements, de débris.

D’infâmes araignées, de sordides couleuvres,

Rampent en salivant sur des restes de pieuvre

Et de corps mutilés. En surface, les cris

Des pêcheurs dépeçant les ailerons des squales

Avertissent la troupe immonde du festin.

Des myriades de vers, au cœur de cette eau sale

Fourmillent en nuées porteuses de destin.

 

J’ai vu l’homme affamé se livrer au massacre

De l’innocent requin, je l’ai vu, résigné,

Suer sur l’océan,  dans le sang, les feux âcres

Des peines et des peurs pour remplir son panier :

J’ai vu l’homme réduit au plus vil esclavage

Par des hommes plus vils encor, riches et fiers,

Détruire notre terre avec des cris de rage,

Et nourrir l’ambition d’un peuple à la cuiller.

 

Et j’ai frémi d’horreur, voyant la pauvre bête

A la mer rejetée, qui se vrillait en vain,

Blessée, sans gouvernail, vers le fond des ravins

Comme un triste déchet de peau grise et d’arêtes :

Il allait dans la fosse où le charnier grouillant

De ses frères meurtris s’étendait en silence

Et peuplait de poisons l’avenir balbutiant

De la Terre muée en Enfer de violence !

 


14/01/2015
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Le dernier requin



 

En rêve, ce matin, j’ai vu, sous des eaux sombres,

Rasant le sable clair et d’arides rochers,

Un squale malheureux serpentant comme une ombre :

Il semblait las de vivre et de toujours chercher.

 

Doucement il mourait, fatal et solitaire,

Et s’avançait sans peur vers les fonds bleus de nuit

Des abysses muets, tout vibrant de mystère.

Alors il disparut. Comme un charme. Sans bruit.

 

 - Il se pourrait un jour que ce soudain silence

Fût celui d’un adieu terrible et sans retour,

Que ce doux animal prononçât la sentence

Assassine des mers, comme de nos amours.

 

Qui le suivrait alors au fond du noir abîme

Envierait son destin, lui qui vint vers la mort

D’un cœur libre et serein comme vers une intime :

Il n’aurait à subir les tourments du remords.

 

Il sentirait en lui l’âme de ses ancêtres

Le guider vers des cieux fiers, infinis d’azur ;

Il ne craindrait plus rien, ni même de renaître,

Rien que pour cet instant si magique et si pur !

 

 


14/01/2015
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L'enfant du paradis perdu



 

Elle allait, mal coiffée, mal vêtue, le pas lent,

Les yeux indifférents aux appels de la vie,

Comme le figurant d’un drame en noir et blanc,

Les épaules baissées, sans flamme, ni envie.

 

On aurait pu la croire ignare et sans beauté,

Elle, si jeune encore, à peine seize automnes,

Et déjà résignée à pâlir sous l’été

Sous d’amples vêtements aux coloris atones.

 

Je la voyais marcher parmi les jeunes gens

De son âge, rieurs et brûlants d’énergie :

On eût dit un fantôme aux contours contingents

Invisible à leurs yeux comme un jeu sans magie.

 

Elle était une enfant du paradis perdu,

Et vivait dans le deuil des premières années

De sa courte existence, où tout lui était dû,

Incomprise, ignorée, seule, abandonnée.

 

Ses deux petites sœurs, de cinq et de huit ans,

Lui avaient fait comprendre au jour de leur naissance

Que le cœur des humains n’est jamais aussi grand

Que le désir d’amour dont hérite l’enfance.

 

Ce fut pour elle un drame et nul ne s’en douta.

Ses parents étaient tout, leur amour, la vraie grâce,

Et ses sœurs, pour son cœur, furent deux attentats

Qu’elle souffrit sans bruit pour leur céder la place.

 

Lors, elle se para de l’habit du martyr ;

Mais sans cri, sans éclat, d’une foi puérile,

Espérant retenir l’amour prêt à partir

Par un feu de vertu masochiste et virile.

 

Nul, bien sûr, ne comprit ses soudaines pâleurs.

Père et mère l’aimaient ! Mais quel étrange voile

Sur ses yeux maintenant, quelle austère douceur,

Elle qui fut jadis leur si rieuse étoile !

 

On lui témoigna donc une neuve attention

Au sein de son foyer, mais plus froide et craintive

Que celle d’autrefois, quand aucune question

Ne troublait les esprits par ses notes plaintives !

 

Lorsque je l’aperçus pour la première fois,

Ces mœurs réglaient sa vie depuis plusieurs années

Et pesaient sur son cœur de tout leur odieux poids

De Chimère, en creusant son chemin de damnée.

 

De l’amour, elle avait fait le choix du mendiant,

De maint laissé-pour-compte, et se payait des miettes

Que les beaux, les heureux, les choyés, les vaillants,

Laissaient choir sous la table au milieu de leurs fêtes.

 

 

 


14/01/2015
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