Césarion d'Alexandrie

Césarion d'Alexandrie

Sous la main de l'hiver


Misère du plus doré


 

 

Son argent lui vaut seul les honneurs, les sourires,

Qui fleurissent le sol sur lequel vont ses pas ;

Mais nul depuis longtemps ne l’a vu vraiment rire,

Même au point culminant du plus gai des repas.

 

Où qu’il aille, toujours, au fond de sa poitrine

Un relent d’amertume, ainsi qu’un vieux poignard

Planté là, plein de rouille et de haine assassine,

L’exile de l’azur comme un triste bagnard.

 

Nul ne le sait. Chacun le croit fort comme un chêne ;

Chacun même l’envie à le voir si confiant,

Si puissant, de tant d’or tenir si bien les rênes,

Figurer du succès miroir si édifiant.

 

Lui seul sait sur quel fond de sordide défaite

S’assied tout son triomphe, oh, son fier capital !

Tout le poids de ce glaive au-dessus de sa tête

Que brandit le Rapace en despote fatal,

 

La dureté d’airain du rempart invisible

Qu’élève autour de lui le tranchant de ce fer,

Qui fait languir l’amour comme un rêve impossible

Dans le reflet de l’eau des bords de son désert.

 

Rien ne le prive, hélas, de ces rayons lucides

Qui lui peignent la croix que partout il étend

Comme un pavillon d’ombre, ainsi qu’un déicide,

Sur les champs lumineux de l’aède chantant !

 

Rien ne peut lui masquer sa présence à la cime

Des vallées de Misère, où l’homme se débat

Ainsi qu’un pauvre esclave au milieu de l’abîme,

Egaré par l’appel de cent mille combats.

 

Il entend la prière autant que la menace

S’élever de la tourbe à l’assaut de sa tour ;

Mais nulle ne l’émeut ; d’un seul geste il les chasse :

Il sait qu’il n’a de pairs que parmi des vautours.

 

 


02/02/2015
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Pour Elle



 

Que tu es belle, ô femme, âme vaillante et douce

Revenue de l’orage au sein de ton foyer.

Sous ton front grave et pur, ton cœur est éveillé,

Malgré les dents du jour, et cette lune rousse

Que gravèrent les maux dans ton âme à jamais :

Astre en sang qui murmure aux cieux roses le vrai !

Le soir tombe, et je  vois dans tes yeux la sagesse

D’une flamme fidèle à ta grande beauté

Ravir aux sombres nuits leur froide royauté

Dans le feu d’un salon rougeoyant de tendresse.

 

Loin de ces damnés qui dévorent l’instant

Et n’ont plus d’idéal au-delà de la cendre

Que leurs brèves chaleurs d’animaux inconstants

Eparpillent aux vents sans pouvoir s’en défendre,

Aux miroirs du jardin de ton rêve d’amour

Tu cueilles le rayon des invincibles jours,

Et pares le tombeau d’une mélancolie

Si touchante et si pure, aux accents si profonds,

Qu’en toi tout me soumet, me damne et me confond,

Ô sourire divin maître de ma folie !

 

 

 


14/01/2015
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Fatale banquise


 

 

Quelle foule, jadis, se pressa sur les quais

Pour son premier départ vers la fière Amérique :

La question de ce monstre agitait les caquets,

Depuis bien des mois défrayait la chronique.

 

On tétait lors au sein de tout superlatif :

« Titanic » ! Ce nom seul brillait comme une étoile

Dans le noir firmament de tout espoir captif :

Il signifiait puissance et gloire proverbiales.

 

Comme on avait vanté ce fleuron du progrès !

Les princes s’y plairaient comme dans leurs palaces,

Tandis que l’émigrant, l’homme au moindre sou près,

Jouirait d’une salubre et vraie troisième classe.

 

Fini le temps cruel des dortoirs contagieux

Ou la promiscuité dans les ombres des cales,

Antres où la vermine ouvrait un œil radieux

Soit pour voler de l’or, soit pour donner la gale.

 

Certes, le plus souvent, pour prix de son ticket

L’ambitieux sans fortune y laissait sa chemise ;

Mais on en parlait peu : devenir new-yorkais

Faisait rêver le gueux des bords de la Tamise.

 

Les intérêts de tous s’étaient ligués alors

Pour faire du voyage à bord du grand navire

Une aventure inouïe, l’un des temps les plus forts

Qu’un humain puisse vivre au sein de tout Empire.

 

Désormais l’Océan se plierait à nos lois :

La tempête pourrait déchaîner tous ses diables,

Gouffres, tonnerre, éclairs, faire rugir leurs voix,

Le colosse d’acier resterait toujours stable.

 

 Tous pourraient accéder à la faveur des rois,

Mieux encore qu’à Terre, où d’infinies distances

Creusaient souvent l’abîme entre un cœur aux abois

Et le lieu d’où jaillit la source d’espérance.

 

Princes et favoris, concentrés sur leurs ponts,

Liés aux continents par le pouvoir des ondes

Tiendraient encor chacun comme par un harpon

Et dicteraient des vœux suivis à la seconde.

 

Monter sur le bateau, pour un simple mortel

C’était se rapprocher déjà des fins ultimes,

Des présents qu’on dépose aux pieds des vrais autels,

C’était déjà gravir cent degrés vers la cime !

 

Le géant de métal ne s’appartenait plus.

On avait converti le navire en symbole :

Celui du Capital, du Progrès absolu,

Du pouvoir d’une Europe érigé en idole.

.

Jamais tant ne brûla la haute société

De briller qu’à son bord pendant le grand voyage,

Conscience enorgueillie d’être la déité

Que l’on avait choyée des plus vibrants hommages.

 

L’équipage n’était à ses yeux conquérants

Qu’un plaisant escadron de zélés domestiques

Qui n’avait qu’un recours : se montrer déférent

Quel que fût son désir, et cela sans mimique.

 

L’employé de radio fut lors si bien dressé,

Fut si bien convaincu de donner préséance

 Au torrent de courrier de ses maîtres pressés,

Qu’il ne fit aucun cas d’autres correspondances.

 

Six fois pourtant l’appel d’un bateau plus au nord

L’avertit du danger des fragments de banquise

Vers lequel le Titan venait briser son corps :

Mais ce n’était du goût de nos riches marquises.

 

On congédia sèchement le braillard insistant

Qui corrompait le flux continu des échanges

Entre gens du beau monde à la pointe du temps

Et leurs pairs de salon fiers d’en donner le change.

 

Las ! Les cris de la vigie, quelques heures plus tard,

Sonnèrent comme ceux d’une annonce fatale -

Et le glacier flottant perfora de ses dards

La vaine peau d’acier de la barque idéale.

 

 

 


13/01/2015
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Misère de l'Aigle

 

 

 

Sous un ciel rare et gris, la neige s’abattait,

Rapide, en rangs serrés, violente, et fouettait

Montures et soldats, tel un cocher sans âme

Avide de souffrance, et de peur, et de drame.

Pour la première fois, sous un refus cinglant,

L’Aigle se retirait, défait, meurtri, sanglant,

Les ailes en proie à la colère du monde,

Dont le grand hiver russe, en sa rude faconde,

S’était fait le héraut puissant et mystérieux.

Napoléon marchait, sombre, et baissait les yeux ;

Au fond du gouffre, encore, il soupesait ses chances ;

Il comptait sans faillir, morts, vitesse, distances ;

Et tous lui répondaient, bien qu’il fût un géant,

En le persécutant des foudres du néant.

Rien ne pouvait masquer désormais la débâcle :

On fuyait ! Et l’horreur se donnait en spectacle ;

La fatigue et la faim torturaient tous les corps

Mais bien moins que le froid, dont tremblaient les plus forts :

Une halte soudaine, une chute banale,

Et l’on se pétrifiait, glacé jusqu’à la moelle

Dans le temps d’un soupir, sans espoir de retour,

Sous l’œil d’hommes marqués du signe du Vautour.

Toute chair était bonne à manger dans la plaine ;

Tout valait qui pouvait faire reprendre haleine;

Et dans l’esprit du Chef l’Espoir se dessina

Quand apparut le pont de la Bérézina.

 

 

 

 

vendredi 19 décembre 2014

 

 

 


19/12/2014
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Crack à Rochechouart




 

Ici Paris vomit sa lie sur le trottoir

Comme un limon maudit ; les trafics les plus sombres

S’y nouent à chaque instant ; c’est tout un peuple d’ombres

Qui se retrouve là du matin jusqu’au soir,

Veule, avide, aux aguets, abîmé par la drogue,

Dont il est, pauvre enfant, le sinistre épilogue.

 

On vend sous le manteau tous les poisons connus

Dans ces rues de Barbès, sous l’écran de la foule

Qui tout le jour ici comme un torrent s’écoule

Et brasse froidement des milliers d’inconnus :

Là, le crime et le vice, à l’abri de la vue,

Viennent se féconder sans nulle retenue.

 

C’est un jour comme un autre. Un jeune homme apparaît,

L’œil sûr et décidé, mais où perce la fièvre

Née du souffle brûlant qui déchire sa plèvre,

Et qui, tel un tyran qui le tient sous ses rets

Le traîne par la chair vers ce marché sordide

Où s’échange le rêve au prix du lent suicide.

 

Or il est sûr d’avoir déjà tout bien pesé.

Qu’est-il en ce bas monde ? - Un jeune homme ordinaire,

Le quidam hasardeux d’un milieu populaire,

Un visage oublié sitôt qu’on l’a croisé,

Et sans grande instruction : qu’à présent tout condamne

Au vase où doucement la fleur des champs se fane;

 

Tout, sauf le caillou blanc que son doseur attend,

Dont la fumée lui monte au cerveau comme un charme,

Et lui souffle une foi que plus rien ne désarme,

Qui l'embellit, l'égaie, le rend brave, éloquent,

Le couvre d’une aura qui fascine les femmes,

Et le fait insensible aux morsures des flammes.

 

On le retrouvera, quelques heures plus tard,

Dépouillé de ce bien, soulagé de sa bourse,

Roué de coups, gisant, comme au bout de sa course,

Au niveau du palier d’un immeuble à l’écart ;

Et tandis que viendra le chercher l’ambulance,

Trois garçons s’oublieront dans le rêve et la transe.

 

 

 

 

Mardi 13 mai 2014

 


13/05/2014
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